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Rolling Stones : Charlie Watts était "l’un des secrets du son des Stones", raconte Keith Richards dans ses mém - franceinfo

C’est sans doute l’un des paradoxes les plus savoureux de l’histoire des Rolling Stones : le plus grand groupe de rock du monde s’était choisi un batteur de jazz, Charlie Watts, mort mardi 24 août. Et le groupe avait lutté pour l’avoir, raconte Keith Richards dans sa passionnante autobiographie Life parue en 2010 chez Robert Laffont.

"On s’est littéralement privés de bouffe pour se le payer. Oui, on a volé à l’étalage rien que pour avoir Charlie Watts. On a réduit nos rations de survie, on le voulait tellement, le mec".

Pourtant, quelques jours après son intronisation au sein du groupe, Keith a de gros doutes et l’écrit dans son carnet de bord : "Charlie swingue joliment mais peut pas faire du rock. Type fabuleux par ailleurs…". Le guitariste se souvient qu’il le trouvait alors définitivement "trop jazzy" et qu’il le forçait durant les premières années à écouter du blues et du Muddy Waters plutôt que ce jazz que le batteur se faisait régulièrement choper à écouter "en loucedé".

"Je voulais qu’il tape plus fort. On savait que c’était un grand batteur mais, pour jouer avec les Stones, il s’est mis à étudier Jimmy Reed et Earl Phillips, qui tenait la batterie pour Reed. Simplement pour choper le feeling, arriver à ce jeu dépouillé, minimal. Et une fois qu’il l’a eu, il l’a attrapé, il ne l’a plus lâché.

A côté des personnalités extraverties qui tenaient les baguettes dans les groupes de sa génération - le comique Ringo Starr chez les Beatles, le génial cogneur John Bonham chez Led Zeppelin ou le frappadingue Keith Moon chez les Who - l’élégant Charlie Watts fait figure d’anachronisme avec son éternelle silhouette de dandy. Amoureux du jazz, il n’a toujours aspiré qu’à égaler les maitres Max Roach, Art Blakey ou Elvin Jones, le batteur révolutionnaire de Coltrane dans les années 60.

Alors, quand ses concurrents tapent le plus fort possible sur leurs fûts, Charlie au contraire les caresse, soulignant le tempo avec classe et l’accélérant avec grâce, swinguant de façon sobre et décontractée, sans l’ombre d’un effort apparent. "Les gens disent que je joue fort. C’est faux. Je suis enregistré fort et c’est parce que nous avons de bons ingénieurs du son. Je ne peux pas jouer fort", insistait Charlie Watts.

Résultat, si les autres font tout un cirque "sans jamais réussir à décoller, avec Charlie on se rend compte qu’on flotte tout à coup à quelques centimètres au-dessus de terre", témoigne Keith Richards. "Il joue vraiment dans le style des batteurs noirs qui accompagnaient Sam and Dave, les groupes de la Motown ou d'autres batteurs soul. Il a exactement ce toucher." 

"Charlie Watts a toujours été le socle sur lequel je m’appuie, musicalement parlant. (…) Sans Charlie je n’aurais jamais été capable de progresser et de développer mes possibilités. Le principal truc avec lui, c’est qu’il dégage de super bonnes vibrations. Il avait ça dès le début. Il a une énorme personnalité et beaucoup de subtilité dans son jeu", raconte-t-il dans Life.

De fait, le jeu aérien, minimal et précis du discret Charlie est pour beaucoup dans la réussite des compositions de Jagger/Richards. "C’est essentiellement un batteur de jazz, ce qui veut dire que, dans un certain sens, le reste du groupe est une formation de jazz", analyse Keith Richards dans son autobiographie, estimant que "le rock’n’roll, ce n’est rien d’autre que du jazz avec une base rythmique féroce".

Dans le même ouvrage, Keith lève d’ailleurs le voile sur l’un des secrets (car oui, il y en a plusieurs) du son des Stones, dû à "une astuce" de jeu de Charlie Watts. "La plupart des batteurs jouent les quatre temps sur le charleston, mais sur le deuxième et quatrième temps, qui forment le backbeat, un élément fondamental du rock’n’roll, Charlie s’arrête en position levée, il fait mine de le toucher et se retire. C’est donc la caisse claire qui domine à ce moment, au lieu de créer une interférence. (…) Charlie traîne sur la caisse claire et est parfaitement en place sur le charleston. Cette façon de faire durer la mesure un peu plus longtemps, et ce que nous faisons par-dessus ça, c’est l’un des secrets du son des Stones."

Et tout cela avec une économie remarquable de matériel comparé à "la muraille de caisses et tambours" derrière laquelle officient la plupart des batteurs actuels. "Si vous regardez son matériel, vous remarquez qu’il est ridiculement petit (…) Rien de prétentieux. Il n’a pas besoin d’en faire plus", souligne son compère Keith.

Souvent en retrait, jamais dupe du succès, avare de déclarations et affichant un inamovible détachement narquois, Charlie avait souvent l’air sur les photos de s’ennuyer ou de se demander ce qu’il faisait dans cette galère. Il aima pourtant passionnément jouer jusqu’au bout avec les Rolling Stones. Ce n’est pas qu’il n’aimait pas les tournées, c’est juste qu’il aurait voulu pouvoir rentrer chez lui chaque soir.

Voir du pays aura au moins permis à cet ancien designer d’alimenter son autre hobby : dessiner systématiquement toutes les chambres d’hôtels et les lits dans lesquels il avait dormi, et ce depuis 1968. Maintenant qu'il repose en paix, on espère pouvoir bientôt découvrir les dizaines de carnets noircis de ses croquis.

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